La fuente del mundo
Au regard du nombril, l’univers n’est pas visible.
Il est tout juste odorant. Le nombril, qui est le nez rentré des
ventres, attend les bains de minuit pour respirer à pleines narines
le parfum des étoiles, toujours empressées d’entretenir les
illusions olfactives. Le nombril les enracine effectivement dans le corps
des hommes. Elles trempent là leur envie d’humidité. Assoiffées
par tant de déserts stellaires, elles apprécient le petit
puits des abdomens qui leur ouvre le passage vers le rafraîchissement
de la sueur et du sang. Le nombril est donc la bouche nourricière
du ciel. Il est l’aliment oublié qui peut remplir la panse des nuages.
Et tant pis s’il est cuit dès le premier jour de la vie. Heureusement,
son air de cratère éteint le sauve. Il rappelle que les déboires
de la croûte terrestre sont surtout visibles à fleur de peau.
Et quand un doigt fouineur s’avise de pénétrer dans le nombril
pour s’assurer qu’aucun magma ne s’y cache, ce dernier se sent honoré.
Il se prend même pour la source de la Genèse. Mais la Bible,
elle, ne s’est pas fourrée le doigt dans l’oeil. Le nombril était
vraiment trop minuscule pour qu’on y pense au tout premier jour de la Création.
Et depuis, il n’arrête pas de protester contre les liquettes qui
l’occultent de la surface de la terre. Malgré ses cris pour être
définitivement reconnu comme le seul oeil asymétrique, peu
lui concède l’avantage d’avoir participé le premier, au spectacle
du monde. Sa discrétion lui est au fond préjudiciable. Visionnaire
certes, il a été passablement aveuglé, tout autant
que de sa bouche ont été confisqués les appétits
primordiaux. Le châtiment du nombril est donc d’être réduit
au rôle d’un hermaphrodite de confessionnal. A mi-chemin des tripes
et du regard, il est suffisamment ambivalent pour que toute forme de péché
lui soit plus ou moins pardonnée. Reclus derrière le voile
des étoffes, il est condamné à vivre comme un borgne
à jamais banni de la lumière. Et la nuit, quand les regards
s’éteignent, il est certainement le seul qui reste à dévisager
l’obscurité. Et dans les ténèbres, il donne la réplique
à l’oeil de Dieu.
Laurent Aubague. Doctorado en estudios latinoamericanos (1980), Montpellier III, Francia. Es Maitre de conferences en la Universidad Rennes 2, en Rennes, Bretagne, Francia desde 1992. Sus trabajos incluyen varias publicaciones sobre cultura popular y sociolingüística.Regreso a la página de Argos 15/ Poesía